Samedi 26 octobre 2013, les académies d’aikido de Marseille et Fuveau ont eu le plaisir de recevoir Matoian Shihan (membre du shihankai de Kokusai Kenshukai Aikido Kobayashi Hirokazu ryu Ha ; Kyoshi 6e dan DNBK) pour un stage d’aikido en plein air, sur les îles du Frioul, situées au large de Marseille. Les participants ayant pris part à cet entraînement étaient de tous niveaux, et sont pour certains venus d’autres horizons (région parisienne, Nice, Toulouse). C’est sous un soleil encore chaud malgré un fort Mistral que les pratiquants ont travaillé toute une journée leur technique de sabre. Matoian Shihan avait choisi d’insister plus particulièrement sur le principe ume no tachi (mouvements de la terre vers le ciel)*, dont les techniques constituent une part importante de l’aikiken.
« De la terre vers le ciel », ume no tachi, c’est bien le cheminement que nous avions suivi dès le matin…
Rendez-vous à 8 h, au Vieux-Port, au cœur de Marseille, pour quitter la terre. Bien calés à bord du bateau aimablement mis à notre disposition par un pratiquant, nous laissons derrière nous « la Bonne Mère » (1), finissant d’ouvrir les yeux sur la rade sublimée par la lumière du soleil levant. Mais le Mistral, déjà vaillant, réveille bien vite nos ardeurs et, faisant fi des fortifications militaires multiséculaires de l’archipel du Frioul, nous partons pleins de courage à la conquête de l’île de Ratonneau (2). Après avoir grimpé un bon quart d’heure à flanc de colline, nous établissons le dojo (un tout petit peu) plus près du ciel, dans les ruines du fort, avec vue sur la mer et – comme il est difficile de s’en séparer – sur la Bonne Mère.
9 h. « Ken omote ! » (prenez un bokken), annonce Matoian Shihan juste après la méditation ayant ouvert le cours. Pour tous les pratiquants, de mu kyu à kurai go (débutant à 5e dan), c’est maintenant que le « combat » commence. Il faut prendre en main son sabre le plus correctement possible ; se déplacer avec précision ; attaquer, encore et encore, en y mettant toute son âme (tamashi ireru (3)). Sensei nous invite tout d’abord à travailler sur irimi men (frappe verticale de haut en bas), en étudiant la forme omote (l’attaqué reste sur la ligne d’attaque) et la forme ura (l’attaqué laisse la ligne d’attaque à l’attaquant). Parvenir à créer le nécessaire kino mu subi, le lien avec le partenaire, n’est déjà pas évident dans un dojo fermé. On s’aperçoit sur ces formes pourtant maintes fois travaillées que c’est encore plus difficile en extérieur, dans un espace très ouvert et alors que l’on a tendance à focaliser son attention sur des points accessoires, comme le vent qui déstabilise et le soleil qui aveugle…
Attaquer, encore et encore, en y mettant toute son âme… Sensei complique le programme. Il faut désormais réaliser l’irimi men en partant du profil gauche et en effectuant un déplacement à 0°, 90°, 180° ou 270°. Différentes postures de départ, différentes directions : le cerveau s’efforce de tout mémoriser, de bien distinguer les combinaisons possibles. Dans le même temps, et alors que le bassin doit effectuer des mouvements circulaires pour induire le déplacement, le corps tente de trouver la stabilité nécessaire à la technique… Sensei passe alors aux coupes ume no tachi, caractérisées par un mouvement allant de la terre vers le ciel, en partant du profil droit, puis du profil gauche. Les choses se corsent encore quand il nous demande de reprendre toutes ces techniques, l’attaque arrivant cette fois-ci dans le dos (ushiro ken) : irimi men ou coupe ume no tachi, forme omote ou ura, départ d’un profil ou de l’autre… et (presque) toutes les combinaisons sont possibles ! Est-ce le pied qui trébuche sur un caillou, ou l’esprit qui bute sur ce qu’il a du mal à concevoir ?
Attaquer, encore et encore, en y mettant toute son âme… Après le déjeuner, nous changeons de lieu et prenons encore un peu de hauteur. Au sommet de la colline et privés de l’abri que constituaient les ruines, nous sommes exposés non seulement au soleil très chaud de l’après-midi, mais aussi et surtout au Mistral qui souffle de plus belle. Concentration et kime sont mis à rude épreuve. Qu’importe ! Sensei aborde successivement les 5e, 6e, 10e et 11e kihons d’aikiken formalisés par Kobayashi Hirokazu Soshu. Tous ces enchaînements de base ont pour point commun un mouvement du sabre ume no tachi. L’attaqué, qui fait la technique, ne doit pas mettre d’intention, ni faire de gestes parasites et encore moins de gestes menaçants. Il ne doit pas non plus se jeter sur l’attaquant ni le regarder… Ces consignes que découvrent les plus débutants sont bien utiles à tous pour garder en tête l’idée que le combat qui se joue n’a pas lieu contre l’autre, mais bien contre nous-mêmes et contre les défenses que nous érigeons plus ou moins consciemment. Quant à l’attaquant… au 11e kihon, il termine avec le sabre de l’attaqué posé sur sa gorge (4) !
Attaquer, encore et encore, en y mettant toute son âme… Sensei montre alors la coupe tsubame gaeshi (« le contre de l’hirondelle », une coupe de bas en haut immédiatement suivie d’une coupe de haut en bas), qui demande peut-être encore plus de précision et de détermination dans l’action que toutes les techniques précédentes. Sensei décline enfin les applications à deux attaquants de la plupart de ces enchaînements, sur des attaques à 180°, puis à 45°. Une fois la forme (si possible) maîtrisée, il faut encore trouver comment agir simultanément sur les deux attaquants tout en gardant le lien avec chacun d’eux : aspirer le second tout en prenant le centre du premier, faire croire que l’on agit ici alors que l’on agit là, surprendre par les directions et le rythme, « créer » le temps dans lequel la technique est réalisable… C’est là que se terminera le stage : « Ken oite ! » (posez les bokkens).
Nous redescendons vers le village. Un autre moment de partage commence alors, autour de quelques verres et d’une « assiette frioulaise » à base, comme il se doit, de produits de la mer. Un grand merci à tous ceux qui ont contribué, de près ou de loin, à l’organisation de ce stage ; merci aussi à nos compagnons de tatamis qui nous ont fait le plaisir de venir d’autres régions pour l’occasion. Et comme ultime récompense de cette riche journée, tandis que nous retournons vers Marseille by night, la vue depuis la mer sur la ville illuminée s’offre à nous dans toute sa beauté clandestine…
Ume no tachi, « de la terre vers le ciel » ? Oui, mais pas seulement. Dans la trilogie Shochikubai (4), ume, « le prunier », symbolise le retour des forces vives, du cycle des saisons, la renaissance. Qu’avons-nous réussi à semer ce jour-là sur « le Caillou » marseillais ? Il nous faudra certainement, si Matoian Shihan accepte de nouveau l’invitation, y retourner prochainement pour le découvrir. Quoi qu’il en soit, nous vous remercions infiniment de nous avoir enseigné lors de ce stage dont nous garderons tous longtemps, je crois, de belles images et de bons souvenirs… Domo arigato gosai mashita Sensei !
Notes
(1) « La Bonne Mère » est le petit nom donné par les Marseillais à la basilique Notre-Dame de la Garde, qui protège la ville et ses habitants depuis le Moyen Âge.
(2) L’archipel du Frioul, situé à environ 4 km au large de Marseille, a la particularité de constituer un quartier de la ville. Il comprend quatre îles, dont celle d’If sur laquelle est bâtie l’ancienne prison du Château d’If, rendue célèbre par le roman d’Alexandre Dumas, Le comte de Monte Cristo.
(3) Voir André Cognard, Le corps philosophe, Centon Éditions, 2003, p. 97.
(4) Voir André Cognard, ibid., « Ume no tachi, l’art de pénétrer les consciences », p. 219 et suiv.
(5) La trilogie shochikubai, que l’on retrouve dans plusieurs courants philosophiques et spirituels sino-japonais, regroupe ume (le prunier), matsu (le pin), take (le bambou), qui correspondent en aikiken à des mouvements de sabre spécifiques. Voir André Cognard, Petit manuel d’aikido, le nœud de la ceinture, Centon Éditions, 2005, p. 34.